Depuis plusieurs décennies, le phénomène de salinisation des eaux douces s’accroît sur tous les continents, mettant en danger les activités agricoles dans plusieurs zones du monde et la survie des populations qui en dépendent.
La salinité d’une eau se mesure à sa teneur en sel dissous dans un volume donné. Elle permet de classer les eaux selon trois catégories : douces, lorsque la concentration de sel est inférieure à 1 gramme par litre, saumâtres, lorsqu’elle est comprise entre 1 et 10 grammes, et salées, lorsque la teneur en sel par litre dépasse 10 grammes.
Sur la terre, aujourd’hui, les eaux saumâtres et salées représentent plus de 97% de la masse aquatique totale. Les eaux douces (contenues dans les lacs, les rivières ou les nappes phréatiques, notamment) n’en constituent qu’à peine 3%. Or, ce sont les seules à être consommables par l’homme, directement ou indirectement. Il est donc essentiel d’en préserver la quantité et la qualité.
Causes naturelles et cause anthropiques
Depuis plusieurs décennies, malheureusement, partout dans le monde, les écosystèmes d’eau douce sont de plus en plus salés. Ce phénomène est en partie dû à des causes naturelles – comme les variations pluviométriques ou la texture et la porosité des sols, mais il est très majoritairement la résultante de l’activité humaine. L’irrigation des terres agricoles, les industries extractives ou le déglaçage des routes, par exemple, jouent un rôle majeur dans la salinisation, et contribuent à ce que, selon les estimations de l’ONU, 20% des milieux d’eaux douces affichent des taux de salinité excessifs.
Concrètement, la pénétration des sels dans les cours d’eau diminue la qualité de la ressource, surtout s’ils sont accompagnés d’autres polluants, qui forment un cocktail toxique, dont les effets sur la santé restent largement inconnus à ce jour.
Ce qui a été clairement établi, par contre, est que la salinisation a des impacts particulièrement négatifs sur le développement des plantes. Des eaux trop salées ne sont plus capables de fournir les nutriments dont les végétaux ont besoin, pour leur germination, leur croissance et leur reproduction. Ils doivent alors s’adapter à ce nouvel environnement plus hostile, et, dans la plupart des cas, diminuer leur croissance. Sur le long terme, ce phénomène peut menacer la sécurité alimentaire mondiale puisque cela concerne les surfaces agricoles.
Une grande variété de biotopes affectés
Ces conséquences néfastes de la salinisation s’observent dans des biotopes très différents. En Asie du Sud-Est, par exemple, le delta du Mékong enregistre des taux de salinité records, du fait de la montée du niveau de la mer, qui permettent aux eaux salées de remonter toujours plus loin dans le cours du fleuve. En 2022, il a ainsi été mesuré que la limite d’extension des eaux saumâtres se situait à 64 kilomètres en amont de l’embouchure du fleuve, soit une progression de 17 kilomètres par rapport aux résultats enregistrés précédemment. Les conséquences de ce phénomène sont dramatiques pour les riziculteurs, et au-delà, à horizon 2050, pour les plus de 20 millions de personnes qui habitent la région.
Un problème similaire risque de se poser en Europe du Sud, où la conjonction de températures en hausse (et donc de taux d’évaporation plus élevés) et d’une forte baisse prévue des précipitations (de 25 à 30% d’ici 2080) pourrait entraîner des concentrations de sel de nature à mettre en danger non seulement les cultures, mais aussi le fonctionnement et la biodiversité des écosystèmes aquatiques de l’intérieur des terres.
Au Canada, dans un environnement climatique très différent, la salinisation devient également un problème très concret. Le pays recèle la majorité des ressources mondiales en eaux douces, principalement dans les provinces de l’Ontario et du Québec), où près de 5 millions de tonnes de sel de voirie sont épandues chaque année pour déglacer les routes. Les études menées sur place (et dans plusieurs pays d’Europe) ont montré que cette salinisation des eaux douces avait un impact fort sur le zooplancton, qui constitue l’un des maillons essentiels de la chaine alimentaire. Les conséquences, en terme de biodiversité et de développement durable, sont donc potentiellement lourdes.
La nécessité de réponses locales et globales
La salinisation croissante des eaux douces, et celle, subséquente, des surfaces arables qu’elles irriguent constituent donc des menaces de grande ampleur pour de nombreux écosystèmes aquatiques et agricoles dans plusieurs régions du monde.
Il est donc impératif de répondre à ces nouveaux défis, et de trouver les solutions les mieux adaptés, en fonction des situations.
A l’échelle locale, la construction ou la reconstruction de digues et de barrages peut représenter une solution pertinente. Ainsi, au Sénégal, l’augmentation du niveau des océans a considérablement accru la concentration en sel des eaux du fleuve Sine, ce qui a provoqué la stérilisation des rizières environnantes, dont dépendent les habitants de la région. Aujourd’hui, ces terres redeviennent progressivement arables grâce à la construction de digues qui contiennent l’avancée saline et protègent les plans d’eau douce.
De même, au Vietnam, dans la province de Ninh Binh, les eaux salées infiltrées dans le fleuve Day mettaient en péril les activités agricoles, avec des conséquences désastreuses sur la vie quotidienne des habitants. Pour faire face à ce problème, renforcé par le changement climatique, l’Agence française de développement a financé un projet de barrage-écluse à Kim Dai, qui permet de bloquer la pénétration du sel dans les eaux douces et renforce la résilience agricole de la province.
Plus largement, il est nécessaire de développer des applications et des technologies alternatives plus durables. Ainsi, en matière de déneigement, les copeaux de bois, la sciure ou le sable peuvent se substituer au sel. Concernant la salinisation des sols, consécutive à celle des cours d’eau, la technologie de la lixiviation par exemple permet de donner aux cultures à peine plus d’eau que nécessaire pour éviter d’encombrer le sol. Des fossés et tuyaux souterrains pour faciliter le drainage peuvent aussi être creusés. Les inondations contrôlées peuvent aussi rendre cultivables des terres qui ne le sont plus. Enfin un système d’irrigation moins gourmand en eau comme le goutte-à-goutte est le plus recommandé.
D’un point de vue réglementaire, ensuite, il convient d’établir des directives de qualité de l’eau plus appropriées pour améliorer les contrôles des sels entrant dans nos environnements d’eau douce afin de réduire les effets nocifs sur la vie aquatique et la qualité de nos ressources en eau douce.
Enfin, et surtout, la lutte contre la salinisation est partie intégrante de l’impératif de limiter le réchauffement climatique, et la montée du niveau des mers, qui est aujourd’hui le facteur principal de la pénétration du sel dans les écosystèmes d’eau douce.