Avec 32 jours d’affilée sans chutes d’eau significatives, la France a battu cet hiver un triste record. La situation est d’autant plus inquiétante que cette période succède à une année 2022 particulièrement sèche (25% de déficit pluviométrique), qui a laissé les sous-sols en manque d’eau. Résultat : 5 départements métropolitains – l’Ain, les Bouches-du-Rhône, l’Isère, les Pyrénées-Orientales et le Var- sont déjà placés en alerte sécheresse renforcée, et un sixième, la Savoie, est en vigilance.
Sur l’ensemble du pays, les nappes phréatiques sont aujourd’hui plus hautes qu’à la fin de l’été 2022, mais, pour 75% d’entre elles, en dessous de la moyenne d’un mois de février. La période de recharge hivernale de ces nappes, qui s’étend traditionnellement du mois de novembre au mois de mars, n’a pas permis de compenser le déficit enregistré en 2022. Il faudrait donc que le printemps à venir soit très pluvieux, pour que les sous-sols puissent se recharger en eau.
« Même dans ce cas », indique l’agro-climatologue Serge Zaka, « Le retard accumulé sera très difficile à rattraper. Les pluies printanières permettraient certes d’éviter de pomper dans les nappes phréatiques pour irriguer les champs, mais une large partie de l’eau serait absorbée par les plantes en plein réveil. » Par ailleurs, ce sont aussi ces pluies de printemps qui conditionnent la disponibilité du fourrage, qui sert de nourriture au bétail. En 2022, il avait été moins abondant que les années précédentes, mais des réserves étaient encore accessibles. Aujourd’hui, ces réserves ont disparu.
Des pluies en mars, un mois d’avril sec
Si les météorologues estiment actuellement que les mois à venir devraient permettre de combler en partie le déficit hydrique, cela restera très probablement insuffisant face au retard pris depuis 2022. De manière plus précise, le mois de mars devrait afficher des niveaux de pluviométrie importants (+20% par rapport à l’an dernier), en particulier dans l’ouest et le sud-ouest du pays. Les évaluations sont moins encourageantes pour le tiers nord-est, qui devrait être modérément déficitaire. Avril, au contraire, devrait voir le retour d’un temps plus sec, marqué par la présence d’un anticyclone sur la France et le proche Atlantique, qui limitera l’intrusion des perturbations sur le territoire. Mai, enfin, se caractérisera par un fort degré d’instabilité, en particulier sur l’est et le sud-est du pays, avec des orages d’assez forte intensité. Au final, la pluviométrie devrait se rapprocher des moyennes observées sur ce mois au cours des dernières années.
Vers une nouvelle sécheresse estivale ?
La faible pluviosité de l’hiver 2023, le retard accumulé depuis plus d’un an et le manque de réserves qui en résulte dessinent donc le scénario d’un nouvel été très sec, avec des conséquences fortes en terme de restrictions. D’autant plus que s’ajoute au déficit hydrique une augmentation des températures qui favorise l’évaporation et empêche donc l’eau de rejoindre les nappes phréatiques. Enfin, dernier facteur aggravant, lui aussi très directement lié au réchauffement climatique, le faible niveau d’enneigement, qui prive les cours d’eau d’une part importante de leur alimentation au cours des mois de printemps.
Conséquence, les sols s’assèchent. Le soil wetness index, qui mesure leur degré d’humidité, se situe depuis 2022 sous les normales enregistrées pour la période 1991-2020. Les niveaux enregistrés en juillet et en août dernier sont même les plus bas jamais enregistrés pour cette période, battant ainsi un record qui datait de 1976.
Comment anticiper et limiter les risques ?
Face à ces perspectives assez peu réjouissantes, les territoires et leurs habitants vont devoir s’adapter. D’ores et déjà, le gouvernement, par la voix du Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires, souhaite que les mesures permettant de réaliser des économies d’eau soient prises dès maintenant. Des dispositifs visant à protéger les agriculteurs, notamment – en France, l’agriculture représente 45% de la consommation d’eau, et jusqu’à 80% en plein été – ont également été mis en place. Ainsi, l’agence FranceAgriMer a ouvert, le 13 février, un guichet doté d’un budget de 20 millions d’euros visant à financer des matériels de lutte contre les aléas climatiques réservé aux agriculteurs assurés contre le risque climatique. Une autre enveloppe de 20 millions d’euros a été créée le 9 février, « pour la protection contre la sécheresse », à destination de toutes les exploitations.
Si ces solutions peuvent permettre d’éviter des catastrophes, elles ne font pourtant que retarder les échéances. A moyen et long terme, les économies d’eau les plus significatives ne pourront être réalisées qu’en « modernisant les systèmes agricoles et en les rendant plus performants », indique Hélène Michaux, directrice du département du programme et des interventions de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. Cette modernisation pourra notamment se traduire par la généralisation de la micro-irrigation, par l’utilisation du goutte-à-goutte au détriment des pulvérisateurs, ou par l’adoption de systèmes « intelligents » qui aident les agriculteurs à optimiser l’usage de l’eau.
Au-delà des activité agricoles, les zones rurales sont celles dans lesquelles se trouve la grande majorité des 700 communes qui ont connu des difficultés d’approvisionnement en eau pendant l’été 2022. Elles sont souvent alimentées par des réseaux anciens, sous-dimensionnés et assez peu entretenus. On estime en conséquence que 20% des eaux potables ainsi acheminées s’échappent des canalisations, via des fuites. Il est donc urgent d’intervenir massivement dans la rénovation de ces réseaux. Un appel à projets de 20 millions d’euros a été lancé, pour sécuriser l’alimentation des collectivités en eau potable. Il conviendra d’agir sur la réduction des fuites, la réhabilitation des réservoirs ou la mise en place d’interconnexions qui faciliteront l’adduction d’eau.
Autre piste majeure de lutte contre les déficits hydriques, l’accélération de l’utilisation des eaux usées traitées. En Espagne, 14% des ressources en eau proviennent ainsi du recyclage des eaux usées. En Italie, 8%. En France, moins de 1%. Face à cette situation, le gouvernement souhaite lever un certain nombre de freins réglementaires, pour déployer le recours aux eaux usées traitées. L’effort prendra du temps, mais il s’agit d’un axe de progrès significatif à moyen et long terme.
Enfin, à titre individuel et collectif, la sobriété est plus que jamais à l’ordre du jour. 92% des Français indiquent aujourd’hui faire attention à leur consommation d’eau, et 69% d’entre eux sont convaincus qu’ils manqueront d’eau à l’avenir. Très majoritairement, les citoyens admettent qu’ils devront changer leurs habitudes et 66% des Français sont favorables à une réglementation qui limiterait les consommations. Il est également intéressant de noter que 75% de la population indique souhaiter l’assistance d’un compteur d’eau « intelligent » qui puisse alerter en cas de surconsommation.
Contrainte ou choisie, la sobriété semble donc être acceptée par nos concitoyens. Alors que le GIEC prévoit une baisse de 10 et 40% du niveau des cours d’eau à l’horizon 2050, cette prise de conscience et ce consentement à un effort concerté de sobriété constituent peut-être l’une des rares bonnes nouvelles pour les mois et les années à venir.