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Raréfaction de la ressource : les guerres de l’eau sont-elles inévitables ?

Les guerres de l’eau ne sont pas une nouveauté. En Mésopotamie, entre 2600 et 2350 avant Jésus Christ, les cités de Lagash et d’Umma se sont affrontées pendant près de deux siècles et demi pour le contrôle de canaux d’irrigation. Mais aujourd’hui, sous les effets combinés du réchauffement climatique et de l’accroissement de la population, la lutte pour « l’or bleu » fait peser plus que jamais la menace de nouveaux conflits sur plusieurs continents

Si la planète est à 70% couverte par les eaux, seules 2,8% de celles-ci sont des eaux douces naturellement disponibles. On ne peut exclure que d’autres sources soient découverte dans les prochaines années, mais avec plus de 8 milliards d’habitants et une consommation en hausse pour subvenir à leurs besoins et assurer le bon fonctionnement des activités de production, la raréfaction de la ressource est une incontestable réalité.

En témoigne notamment la multiplication des zones en déficit hydrique : on peut ainsi tracer une « diagonale de la soif », qui s’étend du Maroc au Nord de la Chine, en passant par le Maghreb, le Moyen Orient et la péninsule indienne. En moyenne, les habitants y disposent de 500m3 d’eau renouvelable par an et par personne, soit la moitié du seuil de stress hydrique, fixé à 1000m3. Au Maroc, par exemple, ce sont plus d’une centaine de barrages qui ont été construits au cours des 30 dernières années, afin de retenir les eaux de pluie. Mais avec la forte diminution des pluies, le royaume est aujourd’hui obligé de recourir à des solutions de dessalement et de réutilisation des eaux usées. Au sud, dans la zone sahélienne, vivent 150 millions de personnes qui manquent cruellement d’eau. Les prévisions démographiques indiquent que cette population devrait doubler d’ici 2040, alors que la ressource hydrique y a déjà diminué de 40% depuis 2000.

Plus à l’Est, l’Egypte aura une population de plus de 120 millions d’habitants en 2030. Elle tire 98% de son alimentation des eaux du Nil, dont les rivages concentrent également 95% des habitants du pays. Le pouvoir égyptien perçoit donc comme une grave menace le barrage Renaissance, construit par l’Ethiopie en amont du fleuve, et a prévenu son voisin sudiste que toute baisse du débit du Nil causée par le barrage serait considérée comme un casus belli.

Au Moyen-Orient, les barrages érigés par la Turquie sur le Tigre et l’Euphrate rendent plus difficile l’alimentation en eau de l’Irak et de la Syrie.

La situation pourrait également devenir dramatique en Inde, avec une population qui atteindra 1,7 milliard d’habitants en 2050 (contre 1,3 milliard aujourd’hui) et des besoins en eau qui augmenteront en proportion. Or, le pays a déjà abondamment pompé son sous-sol. Il dépend donc en grande partie de ses fleuves, dont le Brahmapoutre, qui prend sa source au Tibet, sous domination chinoise. De même, l’Indus, qui traverse le Nord du pays, coule ensuite au Pakistan. Avec un danger accru de conflit entre d’un côté l’Inde et la Chine (qui partagent 3500 kilomètres de frontière et entre lesquelles des affrontements se produisent régulièrement dans les régions himalayennes) et de l’autre l’Inde et le Pakistan, qui entretiennent des relations émaillées de plusieurs guerres depuis la partition de l’ancienne Inde britannique en 1947).

Toujours en Asie, la Chine a construit plusieurs barrages sur le Mékong, pour subvenir à ses besoins. Or, ce fleuve est essentiel pour l’agriculture et la pêche au Laos, en Birmanie, en Thaïlande, au Cambodge et au Vietnam, également vigilant au sujet du Fleuve Rouge et de la Rivière Noire qui prennent leur source en Chine.

Hydro-diplomatie et solutions alternatives

L’or bleu devient donc une source et un catalyseur de conflit. En 2008, les scénaristes de Quantum of Solace, l’un des films de la série James Bond, avaient fait des réserves d’eau souterraines l’enjeu d’une lutte pour le pouvoir en Bolivie. La réalité a rejoint la fiction en 2022, lorsqu’une attaque de l’armée Tadjik sur un réservoir d’eau Kirghiz, mais revendiqué par le Tadjikistan, avait entraîné, entre les deux pays, une guerre qui a duré plus d’une semaine et causé la mort de plus de 250 personnes, 136 000 autres ayant dû être évacuées.

Sans action résolue à l’échelle internationale, ces conflits transfrontaliers et régionaux risquent de se multiplier. Dans de nombreux pays, l’eau est devenue un enjeu majeur de sécurité nationale, dont l’administration dépend fréquemment du Ministère de l’Intérieur.

Les Nations-Unies sont conscientes du problème et ont mis le sujet à leur agenda. Faire face à la raréfaction de la ressource implique des investissements massifs dans des solutions alternatives, telles que les stations de dessalement, la réutilisation des eaux usées, la recharge artificielle des nappes ou la recherche de nouvelles réserves souterraines. Ces initiatives doivent s’accompagner d’un effort majeur de sobriété et de réparations des réseaux existants, dont l’état de détérioration occasionne des pertes massives, pouvant aller jusqu’à 50% des volumes concernés.

Cette offre alternative indispensable est malheureusement aujourd’hui trop insuffisante. De plus, elle s’avère très énergivore. De ce fait, elle n’existe majoritairement que dans certains pays riches.16 000 stations de dessalement opèrent actuellement dans le monde, et produisent 100 millions de m3 d’eau douce par jour, mais les deux tiers de ces capacités de dessalement sont localisés en Europe (à Malte, notamment), au Qatar ou en Arabie Saoudite.

L’eau comme source de paix

L’eau est facteur de guerre, mais elle peut aussi être source de paix. Ainsi Israël, qui réutilise 87% de ses eaux usées et a développé de fortes capacités de dessalement, a conclu un accord avec son voisin jordanien : en échange d’électricité issue de fermes solaires fournies par la Jordanie, l’Etat hébreu alimentera le royaume hachémite en eau douce, à hauteur de 200 millions de m3 par an. Plus emblématique encore, l’accord conclu par la Sénégal, le Mali, la Mauritanie et la Guinée pour une gestion équitable du fleuve Sénégal, indispensable à l’alimentation de ces pays riverains.

En France, les prémices de situation de conflit ?

Malgré son climat encore tempéré, et comme ses voisins ; la France n’est aujourd’hui plus exempte de problèmes liés à la disponibilité de la ressource , dont les réserves ont diminué de plus de 14% depuis 20 ans.

L’été 2022 avait déjà été marqué par de nombreux vols d’eau dans plusieurs départements (dont 400m3 dans un bassin de rétention en Ardèche), mais l’exemple très actuel des méga-bassines, dans les Deux-Sèvres semble marquer une nouvelle étape dans l’exacerbation des tensions autour des enjeux hydriques. D’un côté, des officiels et des agriculteurs qui considèrent que ces réservoirs artificiels, alimentés par des pompages hivernaux dans les nappes phréatiques, sont indispensables ; de l’autres des associations et groupes environnementaux qui estiment qu’il s’agit d’une solution de court terme, qui ne remet pas en cause les modèles productivistes, s’avère dommageable pour les nappes phréatiques et la biodiversité et favorisera l’évaporation de l’eau ainsi retenue.

Plus largement, dans une situation climatique dont il devient clair qu’elle fait peser une pression de plus en plus forte sur le ressource, la nécessité d’éviter une « guerre de l’eau » est une priorité pour les autorités locales, en particulier dans les zones les plus exposées.

Sont notamment mises en œuvre des mesures de limitation de la consommation – concernant les piscines privées et municipales, par exemple – ainsi que des incitations à cultiver des céréales moins gourmandes en eau, telles que le sorgho, le soja ou le tournesol.

En parallèle de cette réflexion nécessaire sur les assolements, la récupération des eaux de ruissellement, pour assurer l’autonomie fourragère du bétail fait aussi partie des solutions mises en place.

Si les scénarios les plus noirs dessinent un futur très conflictuel, d’autres analyses se veulent plus optimistes. Directrice de recherche au CNRS et spécialisée dans l’étude de la gestion de l’eau et des conflits articulés autour de la ressource, Fabienne Wateau estime ainsi qu’il faudra apprendre à faire avec le trop peu d’eau autant qu’avec le trop d’eau. « Il faudra pouvoir capter l’eau de pluie et la garder en réserve. C’est déjà ce que font les pays du sud. Nous avions l’habitude, dans le nord, à ne pas faire attention, car nous n’en avions pas besoin. Que l’on regarde comment les pays du sud, qui n’ont pas d’eau depuis très longtemps, savent la gérer. Le Maghreb le fait par exemple très bien », explique-t-elle, avant de conclure : « le manque d’eau va créer des obligations d’entente, des obligations de travailler ensemble et des obligations de partage ».

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